Reto Seiler, Redaktion «Hit&Roll»
Chère Tania, ta carrière de curling s’est déroulée de façon inhabituelle: pour ainsi dire venue de nulle part, tu t’es hissée au sommet du podium. Et tu as disparu tout aussi vite. Prenons les choses dans l’ordre: quand et comment as-tu commencé le curling?
C’est mon papa qui me fait connaître le curling. Le curling semble être une passion qui se transmet de génération en génération.
Pierre-Yves était entraîneur national et le manager de la halle à Bienne. Chaque week-end de la saison d’hiver, nous le passions à la halle de curling de Bienne. Je me souviens de tous les détails de cette halle car j’y ai passé beaucoup d’heures à jouer comme enfant en attendant que mon papa termine. D’abord comme observatrice avec mes yeux d’enfant et plus tard sur la glace en tant que joueuse. J’ai commencé réellement la compétition vers l’âge de 11 ans. Avant cela, je me rappelle la joie ressentie quand j’osais aller lancer quelques pierres de curling à la fin d’une session de matches que mon papa organisait ou lorsqu’il me demandait d’aller presser le bouton qui éteignait les luminaires des pistes de curling avant qu’on quitte la halle. L’ancienne halle de Bienne était mon terrain de jeu, je dis même parfois mon église à moi vu que j’y passais tous mes dimanches.
Avec ton équipe junior fille de Bienne, tu es devenue championne suisse en 2004. L’année suivante, vous avez participé au championnat du monde de la relève à Pinerolo (Italie), où vous avez remporté l’or! Pour beaucoup, cela a été une surprise. Pour toi aussi?
Depuis toute petite, j’étais habitée par le voeu de devenir championne du monde. C’est en regardant les équipes d’élite gagner les finales et en ressentant chez elles ce sentiment de joie qu’est née en moi la volonté de vivre cela à mon tour. Mon papa ne m’a jamais obligée à jouer, il a su simplement me connecter à toutes ces belles émotions sportives en me faisant voir ces côtés-là de la discipline. Je me souviens avoir admiré certains joueurs comme Markus Eggler ou Ralph Stöckli, qui m’ont inspirée. Mon papa m’a montré les médailles, que j’ai pu toucher, et m’a emmenée au Canada avec lui pour que je puisse vivre le curling sous tous ses aspects. Tout cela a fait grandir en moi cette volonté d’un jour vivre ce que j’ai vu les autres vivre. Quand on visitait les clubs, je contemplais les photos des équipes qui avaient marqué l’histoire des clubs.
L’année où nous avons préparé les championnats du monde, j’avais affiché au-dessus de mon lit trois phrases que je lisais chaque soir avant de m’endormir. Autant vous dire que, dans mon coeur de curleuse, je n’ai jamais douté de vouloir y parvenir. Mais le chemin a été long. J’ai joué 10 ans de tournois et de championnats juniors, sans jamais remporter un tournoi. Les deux seules grandes victoires ont été le championnat suisse de 2004 et le championnat du monde de 2005. Avant cela, j’ai gagné à perdre des matches et des finales pour mieux continuer, entraîner et poursuivre mon chemin vers ce rêve qui était implanté en moi.
Est ensuite venu le passage vers l’élite: un nouvel environnement et une nouvelle équipe. Était-ce trop de changements d’un coup?
Mon passage dans l’élite me réjouissait, j’allais retrouver ma soeur, qui était de deux ans mon aînée, comme coéquipière. Nous étions une très belle équipe d’élite constituée de joueuses avec qui j’ai encore aujourd’hui un lien d’affection profonde. Ce qui était peut-être difficile à l’époque était de terminer mes études à Genève tout en continuant à faire toutes les compétitions et les entraînements en Suisse alémanique. Et aussi de gérer mes problèmes de santé, qui devenaient de plus en plus préoccupants.
Le curling commençait à exiger beaucoup de moyens financiers, notamment pour participer aux compétitions. Il fallait trouver des sponsors pour financer beaucoup de déplacements à l’étranger et s’inscrire aux tournois internationaux. Pour moi, ce côté-là n’était pas facile. Je n’aimais pas voyager à l’ étranger.
En 2011, tu t’es retirée du sport de performance à 28 ans seulement. Pourquoi si tôt ?
Un ensemble de choses m’ont fait prendre cette décision. Après le championnat du monde junior, j’ai ressenti un grand vide. J’avais réalisé mon rêve. Je crois avoir ressenti que ce qui m’avait amenée à aimer cette discipline était ailleurs que dans tout ce que je devais mettre en place en plus à ce moment-là pour prétendre à plus de résultats.
Physiquement, mon état de santé s’est clairement péjoré. On m’a finalement diagnostiqué une anomalie de naissance dans les parois des ventricules et deux opérations du coeur m’ont finalement aidée à me sentir mieux et à guérir. J’ai souffert des années avant d’être bien diagnostiquée et de bénéficier d’un suivi.
Je n’arrive pas à faire les choses à moitié. Donc si je sens que je ne peux pas m’impliquer à 100% pour ce que je fais, je préfère arrêter. J’avais aussi besoin de vivre d’autres expériences. J’avais besoin de continuer sur un chemin plus calme, plus centré sur moi. Envie d’explorer d’autres parties et de prendre le chemin de la connaissance de soi et de la guérison. Les grasses matinées et les week-ends me manquaient aussi.
Est-ce que tu joues encore parfois activement aujourd’hui? Et suis-tu encore les championnats?
Je ne joue plus du tout. Je suis encore les compétitions avec le regard admiratif et le ressenti que j’avais quand j’étais petite. Toujours cette même émotion qui me gagne quand je vois des équipes triompher. C’est un sport magnifique.
Envisages-tu de faire ton retour un jour? Te verrons-nous éventuellement à nouveau sur un podium?
Le temps d’une soirée avec mes anciennes coéquipières, j’aime oser croire qu’on reviendra. Et puis le réalisme reprend sa place. C’est la nostalgie qui parle quand on se retrouve. On a tellement de souvenirs. Parfois, je souhaiterais revenir pour retrouver l’esprit d’équipe, l’odeur de la glace, la sensation de la pierre qui glisse sous le poignet et l’ensemble des émotions que j’ai pu vivre ou ressentir à tellement de moments. J’ai eu beaucoup de chance. Et puis tu te souviens aussi à quel point c’était parfois dur. Tu te souviens à quel point c’était exigeant, alors tu lèves ton verre et tu trinques à la santé de tous ces souvenirs.
Si tu pouvais revenir en arrière: attribuerais-tu la même importance au curling? Et prendrais-tu ta retraite au même moment?
Oui absolument, je ferais tout pareil. Ma carrière a été magnifique et remplie de superbes moments. La seule chose que j’aurais souhaité différente est d’être soignée plus vite de mes problèmes cardiaques pour être moins embêtée durant mon parcours.
J’ai pu réaliser mon premier rêve à 21 ans ce qui m’a permis ensuite d’en avoir d’autres. Quelle chance!
Après mon départ, je trouve que le style des compétitions a changé. Beaucoup d’équipes ont changé. Dans le curling féminin, les skips se mettaient ensemble pour former une seule et même équipe. Ces choix et cette évolution ont permis à des joueuses de vivre de merveilleuses réussites. Mais je ne sais pas si j’aurais aimé ces changements en tant que joueuse.
Moi, j’ai connu l’époque où quatre copines progressaient ensemble pour un jour éventuellement gagner ensemble. Le curling s’est professionnalisé, c’est très beau. Mais ce qui m’a attiré dans ce sport était cette grande famille composée de pleins de joueuses différentes. Mon ancienne halle a été remplacée par une toute nouvelle halle très belle et moderne, mais qui n’a pas le charme, l’âme et les souvenirs de l’ancienne. Les points de repères qui m’avaient fait vibrer pour cette discipline et l’adorer à ce point ont été remplacés par des nouvelles tendances et infrastructures avec lesquelles je n’ai sans doute pas su évoluer.
Le curling restera un chapitre de ma vie exceptionnel à qui je dis merci et que je regarde avec beaucoup d’émotions positives: un chapitre de vie inoubliable